Les camps d'extermination sont l'aboutissement d'un long processus de déshumanisation et d'industrialisation de la mort, amorcé par la guillotine et qui a progressivement intégré la rationalité du monde moderne, celle de l'usine, de la bureaucratie, de la prison. On peut trouver les origines culturelles du nazisme dans le "racisme de classe" qui triomphe après la Commune, dans le discours impérialiste sur l'"extinction des races inférieures" visant à légitimer les génocides coloniaux, enfin dans l'émergence d'une nouvelle image du juif- axée sur la figure de l'intellectuel - comme métaphore d'une maladie du corps social.
Le nazisme réalisera la convergence entre ces différentes sources matérielles et idéologiques. Auschwitz se révèle ainsi - et c'est là que réside, selon Enzo Traverso, sa singularité - comme la synthèse d'un ensemble de modes de pensée, de domination et d'extermination profondément inscrits dans l'histoire occidentale.
Enzo Traverso est né en Italie en 1957. Maître de conférences en sciences politiques à l'université de Picardie Jules Vernes (Amiens), spécialiste reconnu de l'histoire et de la pensée judéo-allemandes du XXe siècle.Il a publié de nombreux ouvrages, dont : Les Marxistes et la question juive. Histoire d'un débat, 1843-1943 (1990); Les Juifs et l'Allemagne (1992) ; Siegfried Kracauer. Itinéraire d'un intellectuel nomade (1994) ; L'Histoire déchirée. Essai sur Auschwitz et les intellectuels (1997) ; Le Totalitarisme. Le XXe siècle en débat (2001) ; La Violence nazie (2002) et La Pensée dispersée. Figures de l'exil judéo-allemand (2004).