Les vaches noires. Interview imaginaire

eBook
464
페읎지
êČ€ìŠë˜ì§€ 않은 í‰ì êłŒ ëŠŹë·°ìž…ë‹ˆë‹€.  자섞히 ì•Œì•„ëłŽêž°

eBook ì •ëłŽ

Poursuivant le travail d’édition des manuscrits inĂ©dits de Louis Althusser, entamĂ© avec succĂšs par Initiation Ă  la philosophie pour les non-philosophes et Être marxiste en philosophie, tous deux traduits dans plus de dix langues, les Presses universitaires de France publient Les Vaches noires, une auto-interview polĂ©mique rĂ©digĂ©e en 1976, dans laquelle le philosophe revient sur sa relation chahutĂ©e avec le Parti communiste français, dont il fut longtemps un pilier intellectuel, quoique contestĂ©. MĂȘlant considĂ©rations thĂ©oriques, polĂ©miques politiques, observations de coulisses et confessions personnelles, cette rĂ©flexion sur les suites Ă  donner au 22e congrĂšs du Parti communiste français est l’un des textes les plus singuliers d’Althusser – et aussi, Ă  de trĂšs nombreux Ă©gards, un de ceux dans lesquels il se met le plus Ă  nu. À la fois critique sĂ©vĂšre du Parti et dĂ©fense inconditionnelle des idĂ©aux qui y prĂ©sident, c’est surtout un texte qui dresse un programme d’une actualitĂ© surprenante quant Ă  l’organisation de la lutte rĂ©volutionnaire au moment de son reflux. Tout ensemble document historique, politique, philosophique et biographique, Les Vaches noires mettent en piĂšces l’image, encore tenace, d’un Althusser dogmatique, pour restituer toute la souplesse, la complexitĂ© et l’inquiĂ©tude de sa pensĂ©e – celle d’un marxiste pour temps de crise, Ă  l’instar du nĂŽtre.

저자 ì •ëłŽ

Par Etienne Balibar Louis Althusser (1918-1990) et Antonio Negri (nĂ© en 1933), deux grandes figures du marxisme contemporain, sont reprĂ©sentĂ©s dans le catalogue des PUF par certaines de leurs Ɠuvres les plus significatives. On peut y voir le symbole d’une rencontre virtuelle entre deux personnalitĂ©s intellectuelles Ă  certains Ă©gards semblables, Ă  d’autres trĂšs diffĂ©rentes, mais aussi entre deux traditions militantes et deux nations europĂ©ennes qui ne sont pas vraiment Ă©trangĂšres l’une Ă  l’autre, mĂȘme si elles ne se confondent pas. Althusser et Negri se sont rencontrĂ©s fugitivement en 1977-1978, lorsque Negri vint donner Ă  l’Ecole normale supĂ©rieure une sĂ©rie de leçons sur « Marx au-delĂ  de Marx ». Il n’est pas certain qu’ils se seraient entendus, tant leurs thĂ©ories divergent – Ă  moins qu’au contraire leurs intĂ©rĂȘts et les goĂ»ts qu’ils avaient en commun n’eussent crĂ©Ă©s entre eux une de ces amitiĂ©s qui s’installent au-delĂ  de l’ordre des raisons. Ce dialogue manquĂ© se dĂ©veloppe aujourd’hui dans les innombrables dĂ©bats qui, Ă  travers le monde, convoquent leurs textes et leurs idĂ©es. Par une remarquable chance (bien aidĂ©e par François Matheron, traducteur de Negri et Ă©diteur des Ɠuvres posthumes d’Althusser), les Ɠuvres de l’un et l’autre publiĂ©es ou rĂ©Ă©ditĂ©es aux PUF sont de celles qui caractĂ©risent le mieux leur orientation thĂ©orique respective. Pour Althusser, ce sont : l’anthologie de Feuerbach (Manifestes philosophiques, 1839-1845), parue en 1960 dans la collection « EpimĂ©thĂ©e », qui a profondĂ©ment modifiĂ© notre comprĂ©hension du « passage » entre hĂ©gĂ©lianisme et marxisme, et a fourni Ă  Althusser les arguments de sa thĂšse sur la « coupure Ă©pistĂ©mologique » dans l’Ɠuvre de Marx en devenant l’instrument de la dĂ©couverte d’un grand philosophe de l’intersubjectivitĂ© ; le petit volume Montesquieu. La politique et l’histoire (1959), paru dans « Initiation philosophique » et rĂ©Ă©ditĂ© dans Quadrige, devenu l’une des interprĂ©tations classiques de L’Esprit des lois, qui servit aussi Ă  Althusser de laboratoire pour penser (et, Ă  certains Ă©gards, pour fonder) le « structuralisme » ; l’ouvrage collectif Lire « Le Capital », issu du sĂ©minaire auquel participĂšrent aussi J. RanciĂšre, P. Macherey, E. Balibar, R. Establet, qui, avec Pour Marx, inaugura en 1965 la collection « ThĂ©orie » chez François Maspero, aujourd’hui rĂ©Ă©ditĂ©e dans « Quadrige » avec l’ensemble de ses variantes ; enfin, le recueil Solitude de Machiavel (Ă©ditĂ© par Y. Sintomer dans « Actuel Marx Confrontations »), oĂč sont repris les principaux essais publiĂ©s du vivant d’Althusser, dont celui qui fournit le titre tĂ©moigne justement de l’intensitĂ© de la rencontre avec la langue, l’espace politique, la tradition critique du rĂ©publicanisme italien. Ces livres couvrent toute la trajectoire de la reconstruction du marxisme Ă  laquelle Althusser s’était attelĂ© avec ses Ă©lĂšves et qui fit de lui, dans la pĂ©riode la plus crĂ©atrice d’une existence tragique, coĂŻncidant avec le sursis historique du mouvement communiste, l’un des inspirateurs du grand moment philosophique des « annĂ©es 1968 ». Negri, communiste lui aussi, mais toujours trĂšs Ă©loignĂ© du parti, fut l’un des thĂ©oriciens de l’operaismo et de l’autonomia operaia en Italie. Longtemps professeur Ă  Padoue, un temps dĂ©putĂ© Ă  la Chambre italienne, condamnĂ© Ă  de longues annĂ©es de prison sous l’imputation d’avoir Ă©tĂ© l’inspirateur intellectuel des Brigades Rouges, il vit et Ă©crit aujourd’hui entre Paris et Venise. Il est devenu l’un des thĂ©oriciens en vue de l’altermondialisme avec Empire (Ă©crit avec Michael Hardt). Son Ɠuvre est reprĂ©sentĂ©e aux PUF par les deux ouvrages savants qui en posent le fondement mĂ©taphysique en prenant appui sur la pensĂ©e des classiques. L’Anomalie sauvage. Puissance et pouvoir chez Spinoza, publiĂ© en France (1982) avec les prĂ©faces de Deleuze, Macherey et Matheron, dĂ©couvre dans l’Ethique et dans le Tractatus Politicus la grande alternative qui commanderait toute l’histoire de la modernitĂ©, entre les pensĂ©es de la mĂ©diation Ă©tatique et celles de la puissance autonome de la multitude. Cette thĂšse est amplifiĂ©e dans le second ouvrage (lui aussi paru dans « Pratiques thĂ©oriques » en 1997), Le Pouvoir constituant. Essai sur les alternatives de la modernitĂ©, qui reprend la question de la continuitĂ© des quatre traditions rĂ©volutionnaires rĂ©publicaine (de Machiavel Ă  Harrington), libĂ©rale (le constitutionnalisme amĂ©ricain), jacobine (Ă  l’origine du concept mĂȘme de pouvoir constituant), conseilliste (sous ses variantes libertaire et bolchĂ©vique), pour dĂ©boucher sur une proposition « dĂ©s-utopique » de rĂ©solution de la crise du socialisme. Relire aujourd’hui ces textes, ce n’est pas seulement reconstituer une sĂ©quence philosophique qui aura marquĂ© le siĂšcle. C’est installer un dialogue de trĂšs haut niveau, dans lequel se croisent l’éternitĂ© du concept et l’urgence de la conjoncture, la tradition de Rousseau et celle de Tocqueville, l’épistĂ©mologie de la structure comme systĂšme de « rapports » matĂ©riels et imaginaires constitutifs de la subjectivitĂ©, et l’ontologie de la puissance comme « force productive » anticipant la rĂ©volution dans l’intellectualisation du travail. C’est aussi redĂ©couvrir l’actualitĂ© d’une pensĂ©e critique, certes issue de Marx comme une « belle infidĂšle », mais plus gĂ©nĂ©ralement du matĂ©rialisme des philosophies de l’égalitĂ©, pour qui la spĂ©culation n’est jamais que le langage de la vie rĂ©elle et de l’émancipation. * Cet article provient du Dictionnaire des philosophes, sous la dir. de Denis Huisman, 2e Ă©dition revue et augmentĂ©e, Paris, PUF, 1993.ALTHUSSER LOUIS, 1918-1990 Philosophe français, nĂ© en AlgĂ©rie, il fait ses Ă©tudes Ă  Alger, puis Ă  Marseille. En 1937, il fonde, Ă  Marseille, une section de la jeunesse Ă©tudiante chrĂ©tienne. Il est reçu Ă  l’École normale supĂ©rieure (Ulm) en 1939. Prisonnier en Allemagne de 1940 Ă  1945, il est Ă©lĂšve Ă  l’ens de 1945 Ă  1948. Il rĂ©dige un diplĂŽme sur La notion de contenu dans la philosophie de Hegel, sous la direction de Gaston Bachelard. AgrĂ©gĂ© de philosophie en 1948, il est nommĂ© agrĂ©gĂ©-rĂ©pĂ©titeur Ă  l’ens. AdhĂšre au pcf la mĂȘme annĂ©e. SecrĂ©taire de l’ens (Lettres) en 1950, il y devient maĂźtre-assistant en 1962. En 1975, il prĂ©sente Montesquieu, la politique et l’histoire, Les Manifestes philosophiques de Feuerbach, Pour Marx et Lire le Capital, comme thĂšse sur travaux, Ă  l’UniversitĂ© de Picardie. A partir de 1965, la diffusion de son Ɠuvre en France, puis, grĂące Ă  des Ă©ditions originales, en Italie (ses liens avec les Italiens sont privilĂ©giĂ©s. En tĂ©moigne la publication d’une bibliographie (1959-1978), Ă©tablie par Filippo Pogliani, sous le titre Dopo Althusser, per Althusser, dans Materiali filosofici, no 1, 1979), en AmĂ©rique centrale et latine, en Espagne, en Angleterre..., place Althusser au centre de dĂ©bats qui entraĂźnent vite sa notoriĂ©tĂ© dans certaines rĂ©gions du monde, mais au prix de polĂ©miques d’une virulence parfois inouĂŻe. A la suite de RĂ©ponse Ă  John Lewis (1972-1973), il prend des positions politiques publiques sur la vie du pcf, tantĂŽt de l’intĂ©rieur (Les communistes, les intellectuels et la culture, intervention orale sur l’abandon de la rĂ©fĂ©rence Ă  la “ dictature du prolĂ©tariat ”...), tantĂŽt de l’extĂ©rieur (XXIIe CongrĂšs, Ce qui ne peut plus durer dans le Parti communiste...). Mais les publications thĂ©oriques, dont le tour est politique au moins depuis la PrĂ©face Ă  Pour Marx, deviennent des interventions dĂšs 1968 (pĂ©riode de LĂ©nine et la philosophie), parfois hors de France d’abord (en 1968 dans L’UnitĂ ). Et elles comportent des allusions Ă  la vie du mouvement communiste international bien avant les textes de 1978. L’Ɠuvre de Louis Althusser a produit beaucoup de concepts dĂ©jĂ  tombĂ©s dans le domaine public, suscitĂ© des faisceaux de polĂ©miques haineuses et peu de critiques judicieuses (cf. ÉlĂ©ments d’autocritique, Hachette, p. 41). On peut bien sĂ»r chercher Ă  montrer que nombre des polĂ©miques illustrent sa thĂšse sur la philosophie comme lutte de classes dans la thĂ©orie, ou que telle “ rĂ©futation ” relĂšve d’ñneries dans la lecture. Mais l’analyse des principaux concepts, qui touchent au commencement d’une science, Ă  la pratique thĂ©orique, Ă  la dialectique matĂ©rialiste, Ă  la science de l’histoire, Ă  la thĂ©orie des idĂ©ologies et du sujet, Ă  la thĂ©orie de la philosophie... n’est peut-ĂȘtre pas la premiĂšre tĂąche Ă  accomplir pour prĂ©senter Althusser. Ce qui le caractĂ©rise en effet d’abord n’est pas tant l’ensemble – mouvant – de ses productions que sa maniĂšre de produire. Et l’on peut lui appliquer ses propres analyses du travail thĂ©orique (Sur la dialectique matĂ©rialiste, in Pour Marx) : la facture des produits dĂ©pend du type de travail sur d’autres produits thĂ©oriques extĂ©rieurs. Althusser brille dans la philosophie “ marxiste ” par son ouverture extrĂȘme aux “ non-marxistes ”, et par la rigueur du travail auquel il les soumet. A ne pas le voir, on s’égare Ă  parler de modes Ă  son propos : Bachelard, Canguilhem, structuralistes, Foucault, Lacan, Mao, Spinoza, radicalisme Ă  l’italienne... Mais ce ne sont que les matĂ©riaux dont il s’est emparĂ©. Althusser est un des philosophes les plus conscients, Ă  en souffrir, du vide d’une pensĂ©e qui ne pourrait s’exercer sur un dĂ©jĂ -lĂ  thĂ©orique. Il convie chacun Ă  analyser ses propres procĂ©dures de travail pour Ă©viter l’effroi devant sa stĂ©rilitĂ©, ou l’illusion d’une spontanĂ©itĂ© crĂ©atrice sans limites. Or, non plus que les matĂ©riaux qu’il traite, ses procĂ©dures de travail n’appartiennent en prioritĂ© Ă  la tradition marxiste. La parentĂ© entre sa conception de la rigueur philosophique et celle de Husserl dans La philosophie comme science rigoureuse est par exemple trĂšs forte. Jusqu’à avoir suscitĂ© une difficultĂ© thĂ©orique fĂ©conde : tout du “ marxisme ” peut-il ĂȘtre rĂ©duit Ă  une science ? Ne doit-on pas distinguer parmi les idĂ©ologies selon des critĂšres autres que le couple Vrai/Faux ? Point culminant de cette difficultĂ© : ProblĂšmes Ă©tudiants, in La Nouvelle Critique, janvier 1964. Effet : la catĂ©gorie de justesse mise ensuite au point. On dira : mais en quoi s’agit-il de “ marxisme ” dans tout cela ? Althusser apprend Ă  ne pas poser ainsi la question. D’abord le “ marxisme ” n’existe pas par grĂące divine comme une doctrine constituĂ©e. Il y a, produits en liaison avec des mouvements populaires, un commencement de science de l’histoire et des aperçus philosophiques fragmentaires et disparates. L’illusion d’un bloc doctrinal date du xxe siĂšcle. Ensuite un travail thĂ©orique s’exerce sur des concepts, en livre d’autres, mais en relation avec des situations extĂ©rieures. Et cette situation de rĂ©fĂ©rence est constante pour Althusser : les besoins thĂ©oriques des mouvements rĂ©volutionnaires. Situation pensĂ©e par Marx, Engels, LĂ©nine..., mais pensable aussi grĂące Ă  d’autres auteurs, Ă  condition de modifier certains de leurs concepts, d’en Ă©laborer de nouveaux. Enfin l’horizon d’un travail thĂ©orique doit ĂȘtre prĂ©cisĂ©. Et celui d’Althusser appartient Ă  la tradition marxiste – mais non Ă  elle seule – par des liens fondamentaux. En effet un “ problĂšme ” n’apparaĂźt jamais par lui-mĂȘme dans l’absolu, mais est toujours inscrit dans un “ montage ” particulier, idĂ©ologique ou scientifique. Il n’existe donc pas de “ problĂšmes ” philosophiques par nature. Et Althusser refuse la description phĂ©nomĂ©nologique ou l’élucidation des notions : toute la langue commune oĂč sont Ă©noncĂ©s les “ problĂšmes ” doit trembler avant de devenir philosophique. Aucune question “ qu’est-ce que... ? ”, aucune recherche d’essence, aucune position d’objet, aucune visĂ©e de sujet... n’est acceptĂ©e. Au profit d’une analyse des liens qui unissent les “ montages ” aux conditions rĂ©elles d’existence dont ils sont les “ indices ”. La philosophie peut alors s’offrir comme intermĂ©diaire entre les engagements idĂ©ologiques et les conceptions scientifiques qui analysent conditions, montages et liens. Et son statut devient une question centrale pour Althusser (cf. LĂ©nine et la philosophie et RĂ©ponse Ă  John Lewis). De sorte que le matĂ©rialisme historique n’est pas un relativisme (sociologiste ou historiciste) qui tiendrait toute conceptualisation pour l’effet de conditions historiques changeantes, mais une science qui, produit certes historique, permet en mĂȘme temps l’émergence de concepts provisoires et dĂ©finitifs. Provisoires, car ils restent insĂ©rĂ©s dans une histoire qui les rectifie. C’est l’histoire qui cause l’apparence de vĂ©ritĂ©s permanentes, grĂące aux rĂ©Ă©critures successives des concepts, qui chaque fois en effacent l’origine et le passĂ©. DĂ©finitifs, car ils visent la vĂ©ritĂ© absolue, et cela sur l’histoire elle-mĂȘme. C’est en ce sens qu’Althusser a condamnĂ© l’historicisme, doctrine qui ravale toute science de l’histoire Ă  une conception conjoncturelle du monde (dĂ©finition tout aussi lĂ©gitime que celle de Popper, qui n’a rien Ă  voir avec elle). D’oĂč l’aspect parfois dĂ©concertant de l’Ɠuvre d’Althusser : le souci de fresques, de synthĂšses thĂ©oriques ambitieuses et schĂ©matiques, d’allure dĂ©finitive, qui ne craignent ni le didactisme ni le dogmatisme rationaliste – et, Ă  la fois, l’aspect provisoire des concepts, la mouvance des explications, les reproductions Ă©largies de doctrines, les rectifications, les continuitĂ©s Ă©tablies aprĂšs coup (cf. Soutenance d’Amiens). Faut-il rĂ©fĂ©rer tout cela Ă  je ne sais quelle psychologie ? Il s’agit plutĂŽt d’une fidĂ©litĂ© Ă  la dĂ©marche des savants : visĂ©e du dĂ©finitif dans la thĂ©orie, couplĂ©e avec la perpĂ©tuelle remise en chantier des recherches. VĂ©ritĂ© absolue et vĂ©ritĂ© relative. Althusser a montrĂ© dĂšs 1961 (Le jeune Marx, in La PensĂ©e, no 96) l’importance de Feuerbach dans l’évolution thĂ©orique de Marx et la complexitĂ© de ses rapports avec la philosophie de Hegel. C’est Ă  Feuerbach que Marx a empruntĂ© un usage particulier de la catĂ©gorie d’aliĂ©nation. Usage qu’il a plaquĂ© sur des analyses Ă©conomiques, oĂč l’Homme social Ă©tait le centre dĂ©possĂ©dĂ© de la sociĂ©tĂ© capitaliste. Doctrine rĂ©pĂ©tant l’économie en langage philosophique et, rĂ©ciproquement, inaccessible aux procĂ©dures de l’expĂ©rience scientifique. C’est en rompant avec cette idĂ©ologie thĂ©orique, c’est-Ă -dire en “ rĂ©glant leurs comptes ” avec Feuerbach (ThĂšses sur Feuerbach, IdĂ©ologie allemande) que Marx et Engels entrent dans leur pĂ©riode scientifique, celle de la science de l’histoire, et qu’ils peuvent enfin se situer par rapport Ă  Hegel. Les effets de cette thĂšse sur la “ coupure ” dans l’Ɠuvre de Marx sont innombrables et loin d’ĂȘtre Ă©puisĂ©s Ă  ce jour. Par exemple : — Marx a-t-il rĂ©ussi Ă  renoncer Ă  une doctrine de l’individu gĂ©nĂ©rique comme centre de l’analyse scientifique, sans renoncer du mĂȘme coup Ă  distinguer les mots d’ordre rĂ©volutionnaires d’un conformisme des prĂ©visions scientifiques ? — Pouvait-il concilier l’usage polĂ©mique de la catĂ©gorie d’idĂ©ologie avec l’affirmation trĂšs claire (cf. PrĂ©face de la Contribution Ă  la critique de l’économie politique) de son usage comme concept historique (les idĂ©es et les comportements non scientifiques dans lesquels les hommes vivent leur existence sociale, y compris rĂ©volutionnaire) ?... C’est Ă  partir de lĂ  qu’Althusser a entrepris d’étudier la vision thĂ©orique de Marx “ adulte ”, et ses points aveugles. De cette rupture (partielle peut-ĂȘtre) avec Feuerbach rĂ©sultait ce qu’Althusser a appelĂ© un antihumanisme thĂ©orique : le refus de considĂ©rer l’essence de l’homme comme le centre responsable ou dĂ©possĂ©dĂ© de la vie sociale. L’analyse scientifique Ă  laquelle Marx procĂ©dera tout au long de sa vie n’usera plus jamais d’un concept d’essence humaine, ne fera plus jamais intervenir une telle essence dans la causalitĂ© sociale. Ces thĂšses portant sur la distinction entre analyse scientifique et idĂ©ologie ne prĂ©jugent bien sĂ»r pas de l’impact de cette analyse dans la transformation de la sociĂ©tĂ© ni de la valeur de cette idĂ©ologie. En tant que cette valeur en particulier relĂšve d’une pratique et non seulement d’une thĂ©orie. ProblĂšme laissĂ© en suspens par Marx. Repris par Althusser, et d’autres. Althusser a pensĂ© voir des analogies entre cet abandon de l’humanisme thĂ©orique et 1. les thĂšses de Marx sur l’illusion idĂ©ologique ; 2. les remarques de Spinoza sur l’ignorance de la causalitĂ© ; 3. celles de Lacan sur la fonction imaginaire de mĂ©connaissance ; 4. celles de Foucault sur la fin de l’Homme. Il a usĂ© Ă  ce propos d’un vocabulaire d’homme de thĂ©Ăątre : celui de la mise en scĂšne du sujet par un X, lui-mĂȘme analogue Ă  une structure absente. De cette rupture avec Feuerbach rĂ©sultait une nouvelle conception de la dialectique, matĂ©rialiste enfin, plus pratiquĂ©e que thĂ©orisĂ©e par Marx. D’oĂč une recherche encore ouverte aujourd’hui. Marx a conservĂ© plusieurs aspects essentiels de la dialectique hĂ©gĂ©lienne. Par exemple : — Aucun deus ex machina (Providence...) ne doit intervenir de l’extĂ©rieur pour entraĂźner la succession des Ă©tapes historiques. Celle-ci doit ĂȘtre pensĂ©e selon les effets de la composition des Ă©lĂ©ments ; — Les contradictions sont motrices de cette succession, mais il faut apercevoir qu’elles ont des phases diffĂ©rentes, et qu’elles ne sont pas forcĂ©ment motrices de dĂ©composition ; — Ce qui se joue dans les processus dialectiques n’est pas le devenir de quelque chose, mais la constitution de quelque chose dans le devenir. Marx a modifiĂ© ou ajoutĂ© des aspects essentiels. Par exemple : — l’esprit n’est pas la communication universelle des contradictions rĂ©elles, ni l’unitĂ© de leur devenir ; — la rĂ©alitĂ© des contradictions ne doit pas ĂȘtre comprise selon les termes d’une incohĂ©rence/cohĂ©rence logique ; — leur dĂ©passement n’est pas la rĂ©conciliation enrichissante d’un malentendu ; — le devenir n’est pas pronominal : rien ne se perd pour se retrouver ; aucune identitĂ©, spirituelle ou non, ne se poursuit Ă  travers l’histoire – sauf cas d’espĂšce Ă  envisager, auquel serait rĂ©duit le concept d’aliĂ©nation ; — aucun temps homogĂšne (spirituel) n’est le “ bain ” des Ă©vĂ©nements sociaux ; — le devenir est l’effet du jeu de contradictions plurielles les unes sur les autres (comme les luttes de classes et les contradictions des rapports sociaux avec les forces productives) ; un devenir sans sujet n’est pas un devenir sans agents ; — la dialectique sociale est l’effet des articulations/dĂ©sarticulations de la pluralitĂ© des secteurs d’activitĂ© sociale ; elle ne relĂšve donc pas plus d’une logique totalisante que d’une logique spirituelle ; — seul cet enchevĂȘtrement des termes inĂ©gaux des contradictions et des contradictions d’importance inĂ©gale est dĂ©cisif dans le dĂ©terminisme social ; enchevĂȘtrement aboutissant Ă  des condensations de contradictions, Ă  des dĂ©placements de leur rĂŽle dĂ©cisif, Ă  une surdĂ©termination des Ă©lĂ©ments sociaux ; d’oĂč une diffĂ©rence entre ce qui est dĂ©cisif et ce qui est dĂ©terminant en derniĂšre instance. Althusser a pensĂ© pouvoir se rĂ©fĂ©rer Ă  Mao Zedong pour appuyer ces analyses, et utiliser des analogies avec certains concepts freudiens. De cette rupture avec Feuerbach rĂ©sultaient les commencements d’une nouvelle science, celle de l’histoire ou matĂ©rialisme historique. Il Ă©tait alors essentiel pour Althusser de montrer en quoi ce nouveau “ continent ” est semblable aux autres et en est distinct, en quoi cette science, qui impulse une nouvelle maniĂšre de philosopher, ne lui est pas homogĂšne. Une science semblable aux autres, dans la mesure oĂč l’explication rigoureuse et soumise Ă  l’expĂ©rience a l’ambition de durer dans le ciel des vĂ©ritĂ©s non historiques. D’oĂč le refus de l’historicisme (au sens qu’Althusser donne Ă  ce mot). Mais une science distincte des autres, dans la mesure oĂč l’engagement dans la pratique rĂ©volutionnaire donne, d’aprĂšs Marx, un discernement plus exact de ce qui est important en histoire : non les choses, mais leurs transformations. Une science qui vise donc l’objectivitĂ©, mais non l’impartialitĂ©. Qui estime que la politique seule permet la thĂ©orie de l’histoire et en dissipe les mystĂšres. Du mĂȘme coup Althusser, sensibilisĂ© aux problĂšmes Ă©pistĂ©mologiques par la lecture de Bachelard, KoyrĂ© ou Canguilhem, a voulu prĂ©ciser comment une telle science, mais peut-ĂȘtre aussi toute science, peut Ă  la fois Ă©merger de l’histoire par son souci de vĂ©ritĂ©, Ă©chapper Ă  la subjectivitĂ© par son souci d’objectivitĂ©, et pourtant rester totalement inscrite dans l’histoire. Pour cela il fallait admettre que la thĂ©orie des recherches prime sur la mĂ©thodologie (extĂ©rieure Ă  l’histoire), sans ĂȘtre pour autant une psychologie de savants. Althusser fit alors appel Ă  Marx lui-mĂȘme : de mĂȘme que la production domine le producteur et le produit (Introduction Ă  la Contribution Ă  la critique de l’économie politique), de mĂȘme la thĂ©orie historique de la production des concepts (ou Ă©pistĂ©mologie, pour Althusser) domine la psychologie et la mĂ©thodologie. Ce que Popper n’a pas compris. Althusser donnait ainsi au travail scientifique une insertion fondamentale dans l’ensemble social. Mais cette insertion n’est pas mĂ©canique : les idĂ©ologies, dont les savants visent Ă  se dĂ©faire, ne sont pas les moteurs secrets de leurs recherches. Et pourtant ce lien existe : une recherche ne se fait pas sans effets en elle de la conception qu’ont les savants sur l’efficacitĂ© de leurs procĂ©dures, le statut des difficultĂ©s qu’ils rencontrent, les urgences thĂ©oriques... Ces idĂ©ologies de la pratique des savants, ou “ philosophies spontanĂ©es de savants ” sont le plus souvent mises en forme par des philosophies, oĂč elles prennent place, donnent lieu Ă  des exploitations extĂ©rieures, mais aussi jouent un rĂŽle essentiel dans le travail scientifique lui-mĂȘme. Althusser Ă©tait donc conduit, par toute son Ɠuvre, Ă  des questions neuves et difficiles. Marx n’a pas laissĂ© de doctrine explicite quant au statut de la philosophie, de l’idĂ©ologie, du sujet. Althusser a essayĂ© de combler en partie ces manques. Il a prĂ©sentĂ© la philosophie comme distincte des idĂ©ologies, en ce qu’elle prĂ©tend se passer dans le seul domaine thĂ©orique ; comme distincte des sciences, en ce qu’elle n’a pas la vĂ©ritĂ© comme objet mais vise des objectifs idĂ©ologiques : les luttes de classes dans la thĂ©orie. Il a prĂ©sentĂ© les idĂ©ologies comme des Ă©lĂ©ments essentiels et non Ă©piphĂ©nomĂ©naux dans la formation sociale. DĂ©cisives, souvent, dans les transformations et dans les conservations. Elles prennent part Ă  la reproduction ou Ă  la destruction des rapports sociaux de production. Elles sont matĂ©rielles. Le problĂšme Ă©tant bien sĂ»r de les distinguer du rĂŽle reproducteur que tiennent, d’aprĂšs Marx, les rapports sociaux eux-mĂȘmes. Il a prĂ©sentĂ© le sujet comme un effet des idĂ©ologies sur les individus biologiques humains entraĂźnĂ©s dans les sociĂ©tĂ©s. Effet, multiple sans doute, d’interpellation qui fait croire Ă  l’individu qu’il peut ĂȘtre, par exemple, le sujet libre de ses pensĂ©es et de ses actes. Alors qu’il vit le rĂ©el dans l’imaginaire. Le problĂšme Ă©tant bien sĂ»r d’apercevoir que ce caractĂšre transhistorique des idĂ©ologies n’interdit nullement la variation extrĂȘme de leurs formes, ni leur justesse rĂ©volutionnaire Ă©ventuelle. La difficultĂ© de ces questions neuves explique pou

읎 eBook 평가

의êČŹì„ ì•Œë €ìŁŒì„žìš”.

읜Ʞ ì •ëłŽ

슀마튞폰 및 태뾔멿
Android 및 iPad/iPhone용 Google Play 북 앱을 ì„€ìč˜í•˜ì„žìš”. êł„ì •êłŒ ìžë™ìœŒëĄœ 동Ʞ화되얎 얎디서나 옚띌읞 또는 ì˜€í”„ëŒìžìœŒëĄœ 책을 읜을 수 있슔니닀.
녞튞북 및 컎퓚터
컎퓚터의 ì›č람띌우저넌 ì‚Źìš©í•˜ì—Ź Google Play에서 ê”Źë§€í•œ 였디였북을 듀을 수 있슔니닀.
eReader 및 Ʞ타 êž°êž°
Kobo eReader 등의 eBook ëŠŹë”êž°ì—ì„œ 읜윌렀멎 파음을 ë‹€ìšŽëĄœë“œí•˜ì—Ź êž°êž°ëĄœ ì „ì†Ąí•Žì•Œ 합니닀. 지원되는 eBook ëŠŹë”êž°ëĄœ 파음을 ì „ì†Ąí•˜ë €ë©Ž êł ê°ì„Œí„°ì—ì„œ 자섞한 안낎넌 ë”°ë„Žì„žìš”.