Descriptif : Le jardin des supplices, invention littéraire de Mirbeau, réunit dans une configuration obsédante ces deux clichés : celui de la cruauté des Chinois qui lui sert de paravent exotique pour exposer une réflexion anthropologique portant sur la cruauté humaine en général. Il ne contient pas seulement des descriptions horrifiantes de supplices. Il contient aussi des considérations sur la cruauté humaine et sur la pulsion scopique et sur le voyeurisme. Le roman d’Octave Mirbeau a eu à l’époque un grand succès.
Extrait : Si tu es près de moi… quand je mourrai… cher petit cœur… écoute bien !… Tu mettras… c’est cela… tu mettras un joli coussin de soie jaune entre mes pauvres petits pieds et le bois du cercueil… Et puis… tu tueras mon beau chien du Laos… et tu l’allongeras, tout sanglant, contre moi… comme il a coutume de s’allonger lui-même, tu sais, avec une patte sur ma cuisse et une autre patte sur mon sein… Et puis… longtemps… longtemps… tu m’embrasseras, cher amour, sur les dents… et dans les cheveux… Et tu me diras des choses… des choses si jolies… et qui bercent et qui brûlent… des choses comme quand tu m’aimes… Pas, tu veux, mon chéri ?… Tu me promets ?… Voyons, ne fais pas cette figure d’enterrement… Ce n’est pas de mourir, qui est triste… c’est de vivre quand on n’est pas heureux… Jure ! jure que tu me promets !…
Le Jardin des supplices n'est pas seulement le catalogue de toutes les perversions dans lesquelles s'est complu l'imaginaire de 1900. L'ouvrage exprime aussi l'ambiguïté de l'attitude d'un Européen libéral, mais Européen avant tout, devant le colonialisme et ce qu'on n'appelait pas encore le Tiers Monde. Pour Mirbeau, la Chine est le lieu des plaisirs mortels et, par leur système pénal et l'invraisemblable raffinement de leur cruauté, les Chinois ne peuvent être à ses yeux que des barbares : Emmanuelle sur fond de guerre du Viêt-nam, comme l'écrit Michel Delon. Mais les Chinois vivent dans une société plus solidaire et matériellement moins asservie que la nôtre. Et surtout ils sont d'admirables artistes. Tel est le paradoxe de la Chine : un jardin de supplices mais aussi les plus belles porcelaines, les plus beaux bronzes que l'on ait jamais faits. «Voici donc les Barbares à peau jaune dont les civilisés d'Europe à peau blanche violent le sol. Nous sommes toujours les mêmes sauvages, les mêmes ennemis de la Beauté.»