Multitude de destins tunisiens.
Assis devant un café express au pois chiche, Bayram attendait Kader. Son regard se promenait, scrutait le lieu, les visages. Coincé entre le cinéma Le Paris et le restaurant La Grotte, le café-bar était le confluent de divers espaces, le lycée Carnot, le Conservatoire de la musique, la maison de la culture Ibn Rachiq qui y déversaient leurs populations. Il était devenu le lieu de rendez-vous des marginaux et des révoltés de toutes sortes : militants communistes en quête d’une révolution de velours, cadres syndicaux à la recherche d’hypothétiques batailles, poètes désargentés, comédiens en attente d’une scène improbable, écrivains en herbe en manque de reconnaissance, tous apportaient avec eux leurs rêves et leurs illusions qu’ils entretenaient devant un semblant de café au goût douteux. Au-delà des vitres, Bayram regardait des jeunes, probablement des élèves du lycée Carnot, traverser la rue en chantant. Une rousse aux cheveux ondulés s’arrêta devant la porte, jeta un coup d’œil furtif, se retourna puis examina les tables visiblement à la recherche de quelqu’un. Bayram sentit comme une décharge électrique le secouer. Il était subjugué. Ce n’était pas sa beauté qui le frappait, mais il y distinguait une singularité. Elle avait une pose, une démarche presque théâtrale. Soudain, elle partit. Bayram se leva précipitamment, alla payer son café et partit instinctivement à sa recherche. Elle avait déjà disparu.
Découvrez un roman foisonnant d’histoires poignantes et de personnages pittoresques qui retracent des parcours chaotiques, des expériences singulières de l’amour, du débat d’idées, de l’engagement et des désillusions dans un pays en devenir, la Tunisie.
EXTRAIT
La Harley- Davidson roulait déjà depuis une heure sur la route de Tunis. Les rafales du vent happaient son visage. L’étendue semi désertique qu’il traversait ajoutait au vide qu’il sentait en lui.
Depuis sa réussite au baccalauréat, Bayram attendait ce moment comme un signe du Destin. Il avait tant rêvé de Tunis, ses quartiers, ses places, ses filles, son charme. En fait, Bayram n’avait quitté son Gafsa natal que pour rendre visite à son oncle, quelques fois, à Djerba durant les vacances d’été. Sa ville l’habitait. Il en connaissait tous les recoins. Son temps libre, il le passait à vagabonder dans les vieux quartiers. Souvent il s’attardait sur une des rives de l’oued Bayeche, juste aux confins de la ville. La couleur jaunie du désert gagnait tous les murs, se mariait avec celle des anciennes ruines romaines et des nouvelles constructions de pierre des faubourgs. Maintenant, les secousses de la Harley-Davidson le rappelaient à un nouveau départ, lui le fils du sud qui montait à Tunis, à la conquête de l’ailleurs.
A PROPOS DE L'AUTEUR
Zine El Abidine Hamda Cherif est né au Bardo en 1952. Diplômé de l’École Normale Supérieure, il a eu une vie professionnelle partagée entre l’enseignement et les médias. Membre cofondateur de la section tunisienne d’Amnesty International, et de l’Association tunisienne Al-Jamiaa Al-Maftouha, il est actuellement journaliste et producteur-réalisateur de documentaires sur la diversité culturelle en Méditerranée. Son dernier film, La Mané des Sables, met en scène les petits chanteurs de la cathédrale de Tunis des années 1950 à nos jours. Dernière parution, un essai intitulé L’Islam politique face à la société tunisienne. Du compromis politique au compromis historique ?, publié en 2017 aux Éditions Nirvana.